Enquête Nationale de la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (ENUSAN 2019)

Résumé exécutif

  1. Depuis près de 2 ans, Haïti fait face à une crise socio-politique et à des mauvaises performances agricoles qui ont des répercussions significatives sur la sécurité alimentaire des ménages haïtiens, surtout des plus vulnérables. Dans un contexte global d’insuffisance des données disponibles en Haïti, il était devenu indispensable d’organiser une nouvelle enquête nationale sur la sécurité alimentaire. Elle fait suite à la précédente enquête nationale (ENSAN 2018), dont les données avaient été collectées en octobre 2018. Cette nouvelle enquête nationale avait pour objectif de mettre à jour les données sur la sécurité alimentaire et la nutrition mais également de tenir lieu de premier passage des enquêtes de suivi de la sécurité alimentaire au niveau des ménages à travers les sites sentinelles pour le suivi des poches d’insécurité alimentaire.
  1. Les résultats de ce document sont issus d’une enquête réalisée au mois d’août 2019 auprès d’un échantillon représentatif de la population haïtienne constituée de 7.560 ménages dont 4.410 ménages dans les zones rurales d’Haïti et 3.150 dans l’aire urbaine métropolitaine de Port-au- Prince. Ces zones rurales sont constituées de 21 zones d’analyse, basées sur les zones de moyens d’existence de 2015, à l’intérieur de chaque département. Quant à la zone urbaine, elle a couvert les six communes de l’aire urbaine de Port-au-Prince, à savoir : Port au Prince, Carrefour, Pétion-Ville, Delmas, Cite Soleil, Tabarre. La partie urbaine de la commune de Croix des Bouquet a été également prise en compte. Le découpage en zones d’analyse de ces communes urbaines s’est basé sur une analyse précédente des différents types d’habitat et de richesse relative qui composent les communes, répartie dans trois catégories : quartiers très pauvres, quartiers pauvres, ou quartiers moyens et mieux lotis. Au total, la zone urbaine a été découpée en 18 zones d’analyse.
  1. Selon l’Indice de Sécurité Alimentaire de l’approche CARI (l’approche consolidée pour le compte rendu des indicateurs de la sécurité alimentaire), environ 5 ménages sur dix sont en insécurité alimentaire, dont 38% modérément et 12% sévèrement. Cela équivaut à environ cinq millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire, dont 1.2 millions sévèrement et 3,8 millions en insécurité alimentaire modérée. Les pourcentages les plus élevés de ménages en insécurité alimentaire se trouvent en zones rurales, plus particulièrement dans les zones du Nord-Ouest HT01 (82,7%), de la Grand’Anse HT08 et HT07 (81,5% et 75,4%) et des Nippes HT07 et HT08 (76,7%). En zone urbaine, c’est dans les communes de Cité Soleil (51%), Delmas (41%) et Carrefour (36,4%) que l’on retrouve les proportions de ménages en insécurité alimentaires les plus élevées.
  1. L’analyse du score de consommation alimentaire (SCA) révèle que plus de la moitié de la population a une consommation alimentaire inadéquate (score de consommation alimentaire 10 pauvre ou limite) avec des pics au niveau des zones de moyen d’existence de la Grand ‘Anse HT07 (82%), Nord-Ouest HT01 (77%) et de l’Ouest HT06 (76%). Si la proportion moyenne des ménages ayant une consommation alimentaire inadéquate est légèrement plus élevée en milieu rural (50%) que dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince (42,7%), plus de la moitié des ménages (53%) de Cité Soleil ont une consommation alimentaire adéquate.
  1. Le sexe du chef de ménage semble peu influencer le niveau d’insécurité alimentaire du ménage. En revanche, on note des niveaux d’insécurité alimentaire plus marqués au sein des ménages monoparentaux, ceux dont le chef de ménage se trouve en situation de handicap et ceux dont le chef de ménage présente un faible niveau d’éducation.
  1. Au niveau national, plus d’un ménage sur trois a été affecté par un choc (évènement négatif au cours des 6 derniers mois). Les ménages du milieu rural ont été plus nombreux à subir un choc (42%) que ceux du milieu urbain (22%). Les chocs ayant le plus affectés les ménages sont la sécheresse/manque d’eau en milieu et la hausse des prix en milieu rural et la hausse des prix et le décès d’un membre du ménage en milieu urbain. La sécheresse/manque d’eau a particulièrement affecté les ménages des zones du sud HT08, du centre (82.9%) et du sud-est HT07 (70.3%). Parmi les ménages ayant été affectés par un choc, plus d’un ménage sur deux a été contraint de s’endetter pour faire face à ce choc.
  1. Plus de 7 ménages sur 10 ont adopté des mécanismes d’adaptation ayant un impact négatif sur les moyens d’existence pour faire face à leurs besoins alimentaires. Les ménages vivant en zones rurales ont davantage eu recours aux stratégies d’adaptation de crise et d’urgence (52%) en comparaison à ceux du milieu urbain (25%). Parmi ces ménages :

– 19,3% ont adopté des stratégies d’adaptation «d’urgence» telles que la vente de maisons, de terres ou des dernières femelles

– 25,8% ont adopté des stratégies de « crise » comme la vente d’actifs productifs ou la consommation de stocks de semences.

– 26,6% ont adopté au moins une stratégie de « stress » telles que le recours à l’emprunt ou au crédit pour l’achat de nourriture.

La situation est particulièrement critique au niveau des zones du Sud HT08, de la Grand’Anse HT08 et Sud-Est HT07 où plus de 7 ménages sur 10 ont eu recours à des stratégies d’urgence ou de crise. En zone urbaine, c’est dans les communes de Delmas, Port-au-Prince et Cité Soleil que l’on retrouve les plus fortes proportions de ménages ayant eu recours aux stratégies d’adaptation de crise et d’urgence.

  1. Près d’un ménage sur cinq soit 18% ont déclaré avoir reçu au moins un transfert au cours des 6 derniers mois. La majeure partie des transferts proviennent d’Amérique du Nord mais Port-au- Prince représente aussi une origine importante des transferts vers les zones rurales. L’Amérique du Sud occupe le troisième lieu d’origine des transferts. Les transferts sont effectués majoritairement au travers de maison de transferts (type Western Union). Un ménage sur deux a estimé que ces transferts étaient en baisse au cours des 6 derniers mois précédant l’enquête.
  1. Concernant le crédit, un tiers des ménages enquêtés ont sollicité des crédits au cours des 12 derniers mois. Parmi eux, près de 9 sur 10 se sont vus octroyés un crédit, généralement au travers d’amis/famille ou de commerçants locaux. Le recours au système de crédit formel reste encore faible au niveau national.
  1. La nourriture constitue la principale source de dépense des ménages et représente en moyenne, 70% de leur budget total. Une grande majorité, soit 88% des dépenses en produits alimentaires ont été engagées au moyen d’achats directs ou à crédit tandis que 12% ont été acquis par d’autres voies : cadeaux, production propre et échanges. Les ménages des zones rurales dépensent davantage pour l’alimentation (71%) que ceux des zones urbaines (67%). La part des dépenses alimentaires tend à augmenter avec leur niveau d’insécurité alimentaire.
  1. En termes de moyens d’existence, l’enquête montre que l’agriculture occupe 1 ménages sur 2 et constitue la principale source de revenu pour environ 1 ménage sur 4. Au cours de la première partie de l’année 2019, les exploitants agricoles ont eu à faire face au cours à de nombreuses contrainte : d’un côté des contraintes structurelles telles que des modes de tenure précaire, les parcelles de faible superficie, le manque d’accès au crédit… et d’un autre coté à des contraintes conjoncturelles voire récurrents comme des épisodes de déficit pluviométrique plus ou moins sévère, le manque d’accès aux intrants, des problèmes de peste et maladie. Cette situation a sévèrement affecté la performance de la campagne agricole de printemps 2019. Au niveau national, environ 7 ménages sur 10 estiment que la performance de la campagne varie entre mauvaise à très mauvaise par rapport à une année normale.
  1. Près de 4 ménages sur 10 ont déclaré posséder au moins un type de bétail avec une différence très significative entre les zones urbaines et les zones rurales. 50% de ménages dans les zones rurales ont déclarés avoir au moins un animal du bétail, alors que moins d’1% de ménages urbains en possédaient. En termes de contraintes, les maladies et parasites sont de loin la contrainte la plus citée au niveau de toutes les zones de moyens d’existence (rural comme urbain).
  1. La pêche reste une activité relativement marginale avec moins de 2 ménages sur 10 pratiquants la pêche au niveau national. Elle est surtout pratiquée au niveau des zones côtières du Sud et de 12 la Grand-Anse (Sud HT08 et Grand-Anse HT08). Les principales contraintes sont la faiblesse des captures, le manque d’argent pour financer leur activité et le manque d’installation de stockage.
  1. Près d’un ménage sur 10 a déclaré avoir au moins un de leurs membres ayant émigré au cours des 12 mois précédant l’enquête. A côté des mouvement migratoires internes qui sont pour la plupart temporaire, les principales destinations des migrants sont la République Dominicaine (particulièrement au niveau des département proches de la Frontière), les Etat Unis (surtout pour la zone métropolitaine) et l’Amérique du Sud (la Gonâve et le Centre). Les migrations sont surtout motivées par des raisons économiques (recherche de travail) et d’étude.
  1. Les ménages enquêtés se sont montrés plutôt pessimistes sur l’avenir avec au moins 4 ménages sur 10 des personnes interrogées pensant que la situation va s’empirer. Les ménages les plus pessimistes sont ceux des communes urbaines les plus pauvres, notamment à Cité Soleil et ceux départements les plus affectées par les épisodes récents de sécheresse et ceux des quintiles les plus pauvres.
  1. Une faible proportion des ménages (2%) a déclaré avoir reçu une assistance alimentaire au cours des 6 mois précédents l’enquête, la majorité étant ceux qui ont déclaré avoir subi des chocs au cours des six derniers mois. En termes de besoins prioritaires des ménages dans les 6 prochains mois, le poste alimentaire se détache nettement des autres besoins et concerne plus de 7 ménages sur 10 au niveau national. Ce sont les ménages les plus pauvres et dont le chef de ménage à un niveau d’éducation scolaire faible ou absent qui ont exprimé comme nettement prioritaire les besoins alimentaires dans les 6 prochains mois. En cas d’assistance, plus de 6 ménages sur 10 privilégieraient une assistance mixte, composée d’une ration alimentaire en nature et d’un versement direct d’argent suivi des transferts monétaires directs (3 sur 10), des distributions alimentaires en nature (2 sur 10) et des bons d’achats (1 sur 10).
  1. A l’échelle nationale, 7 % des enfants de 6 à 59 mois sont atteint de MAG dont 5 % sont sous la forme sévère (MAS). Parmi les enfants atteint de MAS, 98% des enfants présentaient des oedèmes ce qui est un des signes de la maladie Kwashiorkor. Le département de l’ouest est le plus affecté par la malnutrition aigüe avec un taux de 11% de MAG, dépassant le seuil sérieux (10%- 14.9%). Les taux les plus inquiétants ont surtout été trouvés dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, notamment les communes de Cité Soleil et de Carrefour qui affichent des taux de MAG qui dépassent le seuil critique (15%- 29.9%).

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